Le thème de cette œuvre est la lettre « U » d’Helvetica.
Le son représenté aujourd’hui par la lettre romane U était, dans l’ancien temps, représenté par la lettre V avec d’autres sons. En remontant plus loin dans le temps, cette lettre trouve son origine dans un hiéroglyphe créé il y a plus de 5000 ans : quail chick (poussin de caille), hiéroglyphe égyptien G043 /U+13171. De là sont nées cinq lettres romaines : F, V, U, W et Y, où le U est la dernière lettre romaine qui a vu le jour. En mathématiques, le U est aussi la lettre qui symbolise l’ensemble universel.
Helvetica est également la police de caractères romains la plus utilisée dans l’histoire de l’humanité, et aujourd’hui, elle est répandue dans le monde entier en tant que logo d’entreprise pour Microsoft, 3M, Dole et Nestlé. Cette police de caractères représente également un style typographique international, conçu pour supprimer le contexte régional et historique des formes typographiques, et est l’une des formes ultimes que les humains ont réalisées dans leur quête de l’universalité de leurs formes.
C’est cette forme parfaitement neutre d’Helvetica qui a sans aucun doute incité Virgil Abloh, qui cherchait à brouiller les frontières entre sa propre noirceur et la blancheur qui domine le monde de la haute couture, à utiliser cette typographie dans son logo de marque Off-White (qui signifie entre le noir et le blanc, blanc cassé). Les lettres ont été inventées par les hommes contemporains pour transmettre des idées.
L’écriture, qui est devenue le véhicule de la pensée, a créé d’innombrables concepts et établi des frontières au sein de la société humaine, éliminant autant d’ambiguïtés que possible dans la façon dont nous percevons le monde et augmentant la résolution du monde. Nous vivons dans une telle civilisation. L’état de cette civilisation est aussi le résultat de l’histoire que nos ancêtres ont choisi sur une période de plus de 5 000 ans.
Cependant, en raison de cette volonté de segmenter le monde, notre civilisation en est venue à ne plus tolérer l’existence de l’ambiguïté. Le fait de devoir constamment insister sur l’importance de la diversité est en soi une preuve des aspects négatifs de la sur-segmentation.
Nous, les humains, devons instaurer dans notre future civilisation la valeur d’être avec l’ambiguïté. Une ambiguïté dans laquelle U peut parfois être V, F, W ou Y. De cette nouvelle ambiguïté émergera quelque chose qui n’est ni U, ni V, ni F, ni W, ni Y. Dans cette œuvre, le U blanc cassé d’Helvetica reflète la lumière, se réfléchit dans l’eau et et ne prend forme que dans l’eau scintillante ; ce n’est pas le U lui-même qui en fait un U, mais l’interaction entre quelque chose qui pourrait devenir un U et son environnement.
Le domaine ni noir ni blanc que Virgil Abloh a autrefois visé présuppose deux archétypes, voire deux essences : la noirceur et la blancheur.
Je développe l’idée de Virgil Abloh en affirmant que l’essence de tout réside dans l’ambiguïté elle-même, et que pour la voir comme une chose, il faut avoir un environnement qui la montre comme cette chose et une chose qui la voit telle qu’elle est. C’est une façon de penser qui ouvre plus de possibilités dans ce monde ; d’une civilisation sans ambiguïté, comme le soleil, qui brille par elle-même, à une civilisation, comme la lune, qui se transforme en diverses formes sous l’effet de la lumière du soleil.